Les temps sont agités. La crise du Service Public de la Justice s'aggrave de jour en jour. Pour bien des magistrats, le système est à l'agonie. La nécessité de la réforme n'est pas remise en cause, tous s'accordent pour dire qu'il est temps de changer les choses. Mais les avis divergent quant aux modalités de sa mise en oeuvre.Il y a un an déjà, Mme Dati, Garde des Sceaux et Ministre de la Justice présentait la première réforme devant s'appliquer au système judiciaire français. La carte judiciaire était dépassée par l'explosion des contentieux. Soit, réformons la. Heureux qu'on leur prête enfin attention pour autre chose que des erreurs judiciaires (Outreau, quand tu nous tiens...), les magistrats et les personnels de justice devaient vite déchanter : le projet mis en oeuvre tendant en réalité non pas à renforcer leurs moyens face au sur-encombrement des juridictions (tant judiciaires qu'administratives), mais à la suppression de nombreux tribunaux, notamment dans les régions rurales touchées par l'exode. Pour renforcer l'activité des judictions urbaines alors ? Et bien non, pas du tout. Alors dans quel but ? La réforme de la carte judiciaire visait tout bonnement à réduire les dépenses de l'Etat consacrées à l'Administration de la justice. La nouvelle carte aurait pu passer, non sans anicroche, mais sans déclencher autant de mécontentement chez les fonctionnaires. Quand une faute est commise, il faut rechercher son auteur. Dans l'esprit des magistrats le coupable est tout trouvé, il s'agit de Rachida Dati, Ministre de la Justice.
S'agit-il d'un procès gratuit ? Que peut-on vraiment reprocher à Mme Dati ? La majorité des français sont choqués par ces attaques. Car il faut souligner que la cote de popularité de Rachida Dati n'a jamais atteint des niveaux aussi élevés qu'aujourd'hui (55 % des français approuvent son action, selon un sondage du mois d'octobre). Si les Français aiment Rachida Dati, c'est qu'elle représente l'idéal de la réussite : c'est un pur produit de l'immigration, promu à l'un des postes les plus hauts placés du Gouvernement par son mentor qui ne cesse de lutter pour une société dans laquelle la réussite se réalise par le mérite. Qui plus est, c'est une femme!(touchée par l'immaculée conception semble-t-il). Mais alors pourquoi les magistrats n'ont-ils aucune confiance en elle ?
Ces raisons sont multiples, d'origines variées, et à mon avis légitimes.
Dans un premier temps, il faut souligner que Mme Dati agace le monde judiciaire. A la manière de son mentor, au lieu de prévenir les dysfonctionnements par une politique pensée et débattue, elle passe une bonne partie de son temps sur les lieux des faits divers. Aujoud'hui à la prison de Fresne pour le suicide d'un détenu ; hier elle était à celle de Rouen pour un autre suicide. Un samedi soir à 23h30 elle interroge avec les services de l'inspection générale de la Justice une jeune juge d'application des peines. La cause de ceci ? Le suicide d'un mineur, en prison encore une fois. Probablement de la faute de son juge d'application des peines, qui n'a fait qu'appliquer la loi et les directives provenant du Ministère.
Et le reste du temps, que fait la Ministre de la Justice ? Dîners et cocktails occupent ses soirées. La jeune femme a dépassé le budget du Ministère de la Justice de plus de 30 % en 2007 pour organiser des réceptions. Objectif ? Tisser des réseaux pour plus tard, on ne reste pas ministre toute sa vie. Ses journées, elle les passe souvent avec les journalistes. Pas ceux des revues juridiques. Elle est extrêmement solicitée par la presse féminine, et donne beaucoup d'interviews. On peut comprendre le ras le bol des magistrats qui se tuent à la tâche tous les jours, en faisant de leur mieux pour rendre une bonne justice, avec le peu de moyens dont ils disposent. Car le budget de la Chancellerie se classe au 35ème rang européen. Ce qui ne semble pas émouvoir plus que cela la ministre en charge du Service Public de la Justice. Très beau score que voila pour le pays qui se dit champion des droits de l'Homme. La France a été condamnée 200 fois en dix ans par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour durée de procédure excessive ( violation de l'article 6 § 1 CEDH, pour les puristes).
La seconde chose que l'on peut repprocher à Rachida Dati réside dans le manque de sens politique de la Ministre. Chacune des réformes touchant au Service Public de la Justice a été menée unilatéralement, sans concertation avec les magistrats qui sont les premiers concernés, et les plus grands experts de la matière. Prenons les "peines plancher" par exemple (les peines plancher sont des peines minimales que le juge est obligé d'infliger en cas de récidive). Contestées, elles l'ont été. Mais elles ont été aussi soutenues par d'éminents pénalistes, comme des avocats généraux à la Cour de cassation par exemple. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement les a imposées aux juges. Quoi de plus normal me direz vous? Ce n'est pas au juge de faire la Loi, son rôle étant seulement de l'appliquer. Et de l'appliquer durement, selon les directives de la Ministre, influencée en cela par le Président de la République en personne. C'est cela la politique du tout sécuritaire.
Sauf que le malaise est profond chez les magistrats répressifs. Voyez-vous, l'effet direct de la politique des peines planchers est d'entasser les récidivistes même ayant commis des infractions mineures dans les prisons. Aujourd'hui, quelques 7000 personnes sont incarcérées pour des peines de moins de 6 mois (ce qui représente un taux très important). Par voie de conséquence, les prisons sont surpeuplées (bien souvent 3 détenus dans une cellule deux places : deux dans des lits, le troisième par terre : à la bonne franquette). Très vite, les douloureux résulats de cette politique se font sentir : 93 suicides dans les prisons françaises depuis le 1er janvier 2008. Un, voire deux par jour depuis le début de l'automne. Dès lors, la Ministre donne des directives supplémentaires à ses magistrats : appliquez strictement les lois pénales, mais soyez doux avec les délinquants pour éviter qu'ils se suicident. Mettez vous une seconde à la place d'un juge de tribunal correctionnel travaillant souvent 15 heures par jour, avec des audiences s'étendant régulièrement jusqu'à minuit, une heure du matin en comparution immédiate. Elle vous demande d'être extemement sévères envers les délinquants, et la France vous désigne comme étant responsables des suicides des détenus. Ce que ne nie pas la Ministre, qui apparemment n'est pas là pour protéger les magistrats. Que faites-vous ? Vous criez à l'incompétence de Rachida Dati haut et fort.
Ah mais non, suis-je bête ! Vous ne pouvez pas crier car vous êtes liés par un fort devoir de réserve. Vous n'avez d'autre choix que de vous taire, en attendant que le Garde des Sceaux daigne recevoir des représentants d'un monde à l'agonie, celui de la Justice française. Peut-être trouvera-t-elle un créneau entre un rendez-vous chez le coiffeur, une réception et une interview pour le Elle. Ou pas.
Un sondage très récent signé IPSOS, commandé par le Conseil Supérieur de la Magistrature, indique que seuls 63 % des Français font confiance à la Justice de leur pays, ce qui me choque profondément. Alors que 55 % d'entre-eux jugent que Rachida Dati fait du bon travail, ce qui me révolte tout bonnement.
Si cela vous intéresse, voila le témoignage d'un ex-détenu lyonnais sur les conditions de son emprisonnement